Wolfen – ils sont parmi nous
Il n’y a pas de loup-garou dans Wolfen, et encore moins de transformation ou de malédiction. À tort ou à raison, on intègre malgré tout le film du documentariste Michael Wadleigh au sein du revival du genre dont le début date des années 80 avec des films comme Le Loup-garou de Londres (1981) ou Hurlements (1981)…
En plein New York, un entrepreneur en bâtiment connu est retrouvé déchiqueté aux côtés de sa femme et de son chauffeur. Alors que les morts inexplicables s’accumulent, l’officier de police chargé de l’enquête découvre que l’assassin, qui a fait des bas-fonds de New York son terrain de chasse, n’a rien d’ordinaire…
Les coupables seraient les wolfen, une espèce supérieure à nos loups gris communs qui cohabitaient avec les Indiens sur le continent américain avant que les Blancs ne viennent exterminer les deux peuples.
Comme les Indiens, les wolfen rescapés intègrent le monde des Blancs. Ils tentent même de se faire oublier en élisant domicile dans les bidonvilles des cités américaines. Et alors que les Indiens sont relégués aux basses fonctions, les wolfen, pour leur part, endossent la fonction d’« éboueurs » en se nourrissant des malades et laissés-pour-compte de la société moderne.
Un contexte politique en ruine
Les autorités, qui n’ont jamais levé le petit doigt pour enquêter sur la mort d’un SDF, se penchent cette fois-ci sur le dossier dans la mesure où c’est un homme politique qui a été retrouvé mort et mutilé. Dans le même temps, on s’empresse bien évidemment d’accuser les groupuscules gauchistes du moment du meurtre barbare …
Le film fait ainsi référence aux Brigades Rouges, à la Bande à Bader ou encore à Action Directe. D’une certaine manière, les wolfen qui vivent cachés dans nos villes s’apparentent ainsi à ces groupes séditieux et terroristes.
L’ambiance insurrectionnelles de la fin des années 70 vient donc s’ajouter à la mise en images d’une civilisation moderne courant à sa perte, évidemment symbolisée par les décombres dans lesquelles évolue une bonne partie du film. Et pour conférer une dimension morale à cette atmosphère de fin de monde, on trouve, au centre de ces ruines, les restes d’une église qu’un politique corrompu souhaite raser. L’épilogue fatal semble d’autant plus certain que l’action des révolutionnaires s’avère inefficace. Pour noircir encore le tableau, Wolfen propose, en guise de héros, un vieux flic alcoolique et désabusé…
Le film n’hésite pas non plus à souvent emprunter le chemin de la violence, ponctuée par des effets gore saisissants : visage lacéré, main arrachée, une impressionnante décapitation… Des effets spéciaux remarquables, conçus par Carl Fullerton, artiste talentueux qui s’illustrera tout au long des années 80 dans d’innombrables séries B avant de connaître la consécration grâce à Philadelphia (1993).
Loup-garou Peace and Love
Le scénario du film de Michael Wadleigh adapte le roman The Wolfen écrit en 1978 par Whitley Strieber, auteur spécialisé dans l’horreur et le fantastique. Ses ouvrages inspireront plusieurs fois le cinéma : Les Prédateurs (1983), Communion (1989) et, dans un tout autre domaine, Le Jour d’après (2004).
Le livre qui nous intéresse ici propose une fin sombre, relatant l’extermination des wolfen. Pour sa part, la transposition sur grand écran propose une fin plus ouverte. Ainsi, le dénouement du film fait le pari que les créatures mythiques pourraient peut-être, finalement, subsister à nos côtés… Lorsque l’on sait que les populations d’animaux sauvages ont chuté de 68 % entre 1970 et 2016, nul doute que l’optimisme n’aurait pas été le même si le film avait été réalisé de nos jours…
Mais Michael Wadleigh est à l’image de son époque, bien moins pessimiste que la nôtre…
Loup-garou en pattes d’eph
Précédemment, Michael Wadleigh s’est mondialement fait connaître grâce à Woodstock (1970), un documentaire qu’il considérait comme la réponse de gauche au Triomphe de la volonté que Leni Riefenstahl avait mis en boîte pour la propagande nazie en 1935.
Tout aussi monumental, Woodstock retrace durant près de trois heures les péripéties du festival qui s’est déroulé en août 1969. Lors de cet événement, les principales figures du mouvement hippie se sont produites sur scène : Jimi Hendrix, Janis Joplin, The Who…
Le courant hippie est apparu aux États-Unis dans les années 1960. La mobilisation s’attachait à la nature, la critique de la société de consommation et faisait la promotion d’une rupture avec les conceptions de vie et de morale courantes de l’époque. La jeunesse s’opposait à la guerre, en particulier à celle du Vietnam, prônait la révolution sexuelle, la protection de l’environnement, l’antiracisme, l’anti-autoritarisme… Toutes ces notions ont coloré les décennies suivantes, ainsi que le cinéma hollywoodien.
Wolfen sera le seul film de Michael Wadleigh à ne pas être lié à Woodstock, un point qui éclaire sur les intentions profondes du réalisateur…
Le loup-garou qui n’en était pas un
Wolfen ne propose aucune transformation d’homme en loup. Et pour cause, ce serait totalement déplacé. En effet, le film ne s’interroge pas sur la part animale en l’homme, préférant réfléchir à la cohabitation de l’homme et de l’animal, voire de la nature et de la civilisation.
Ainsi, le mot loup-garou n’est jamais utilisé dans le film. Longtemps Wolfen laisse entendre que certains Indiens ont hérité de capacités métamorphes leur permettant de prendre des formes animales, dont celle du loup. Finalement, le film opte pour une race à part d’origine mystique, entre loup et peuple des premières nations.
Les créatures apparaissent alors en fin de métrage en prenant l’allure de grands loups, superbes et élégants. Auparavant, la vue subjective permet d’illustrer la menace qu’ils représentent. La technique employée, et que l’on retrouvera plus tard pour visualiser ce que perçoit la créature de Predator (1987), consiste à obtenir une image thermique d’une scène par analyse des infrarouges.
Un loup-garou de six semaines
La thématique écolo-politique teintée de mysticisme aurait pu être indigeste. S’il n’en est rien, c’est probablement dû à l’expérience de Wadleigh comme réalisateur de documentaire. Malgré un rythme lent, l’oeuvre fascine et fonctionne parfaitement comme film d’horreur urbain.
New York en ruine génère même un lot incessant de plans sublimes, tandis que James Horner (Titanic, 1997) livre une bande originale efficace, accompagnant parfaitement l’ambiance tendue.
Le casting est essentiellement tenu par des acteurs peu connus comme le couple formé par Albert Finney et Diane Venora. Seul Edward James Olmos, célèbre pour avoir incarné le personnage de l’amiral William Adama en 2004 dans la série Battlestar Galactica, devrait évoquer quelque chose…
Enfin, Wolfen, c’est aussi ce superbe poster français, signée Michel Landi. L’homme aux 2000 affiches (Pulsions, Blow Out, Halloween 2, Phantasm, Réincarnation, Cujo, Le Retour des morts-vivants, Predator, Aliens…) a composé un dessin qui est indubitablement resté dans les esprits, œuvrant à maintenir dans les mémoires un film qui, après son bide au box-office, n’a cessé de se bonifier avec le temps.