Le Monstre fou – moraliser la science

Parce que les origines du loup-garou remontent à d’anciennes légendes européennes, les films affichant la créature se marient rarement avec la science-fiction. Quelques métrages défient cependant la règle comme Le Monstre fou. Le film de Sam Newfield sort en salles en 1941, soit une année après Le Loup-garou de George Waggner, mais aussi entre l’attaque de Pearl Harbor et le bombardement de Nagasaki et Hiroshima…


Dans son laboratoire situé au sous-sol de sa demeure, le Dr Cameron s’adonne à des expériences de transfusions sanguines. Il se sert de son jardinier simplet, Petro, pour vérifier ses théories. Selon le scientifique fou, il serait possible, en injectant un sérum à base de sang de loup, de faire régresser un homme au stade animal. Ainsi contaminé, le jardinier se met effectivement à courir les marécages avoisinants sous la forme d’une bête primitive.
Maintenant que ses recherches ont abouti, Cameron tient sa revanche sur des collègues qui, naguère, l’avaient refoulé de leur cercle de scientifiques sérieux. Selon lui, l’utilité de sa découverte est irréfutable, car elle permettra de mettre sur pattes une armée invincible de soldats loups-garous que les alliés pourront lancer à l’assaut des nazis menaçant le monde. Parviendra-t-il à faire comprendre à ses pairs l’utilité d’une telle découverte ? Où resteront-ils imperturbablement fermés à l’inévitable marche du progrès ?

Dans le film, le Dr Cameron admet lui-même l’ignominie de ses recherches. Mais il estime que le danger représenté par l’étranger les légitime. L’étranger, c’est évidemment le nazisme en Europe. Mais le Japon vient aussi d’attaquer Pearl Harbor le 7 décembre 1941. Des menaces bien réelles qui, cependant, ne donnent pas le droit de faire tout et n’importe quoi. D’ailleurs, en faisant d’une pauvre fillette la première victime collatérale de ces sinistres expériences, Le Monstre fou apporte une réponse cinglante au Dr Cameron… D’autant plus lorsque orgueil et vengeance sont à l’origine de ces découvertes scientifiques. Car, en fin de compte, peur et misanthropie s’avèrent les seules motivations du Dr Cameron.
Au moment de la sortie du film, au sein de son projet Manhattan, le gouvernement américain travaille depuis trois ans et dans le plus grand des secrets à produire une bombe atomique… Dès lors, c’est peu dire que Fred Myton a eu le nez creux au moment de pondre le script du Monstre fou. Il faut dire que le bonhomme connaît bien son métier qu’il embrasse dès la période du muet. Au final, le scénariste aura livré près de 160 scripts divers et variés, avant de finir sa carrière en alimentant les poverty row dans les années 40. Ainsi, on le trouve à l’origine de films comme Créature du diable (Dead Men Walk, 1943), Le corbeau noir (1943) ou encore The Terror of Tiny Town (1938).

Un poverty row, cela signifie de la pellicule bon marché, du matériel technique obsolète, un budget deux à trois fois moins élevé que celui d’une série B fantastique produite par l’Universal. Et pour les acteurs composant le casting, principalement des inconnus au bataillon ou des stars en perte de vitesse, les conditions de tournage sont claires : pas de répétition avant les prises de vue.
Tourné pour sa part en cinq jours, Le Monstre fou se laisse suivre plutôt sans ennui, malgré une durée de 77 minutes relativement longue pour un poverty row. Il faut dire que les séquences permettent toutes de faire avancer l’histoire, aucune ne s’avère inutile. En outre, comme pour un slasher, les meurtres commis par Glenn Srange transformé en loup-garou rythment l’histoire astucieusement.
Glenn Strange incarne Petro le jardinier qui ne ferait pas de mal à une mouche. Petro est un homme simple, près de la terre. Il s’intéresse guère aux querelles des érudits qui veulent percer les mystères de la connaissance. Lui ne désire qu’accompagner la pousse de ses plantes.
La détresse de celui qui remplacera Boris Karloff dans le rôle de la créature de Frankenstein dès La Maison de Frankenstein (1944) fait ici peine à voir. Une fois transformé, Glenn Strange incarne un loup-garou qui ressemble à peu de chose près à un homme un peu trop velu, désorienté, qui a perdu la mémoire. On doit le maquillage à Harry Ross qui débutait là une carrière dédiée aux effets spéciaux de séries B, voire Z : The Day Mars Invaded Earth (1962), Two Lost Worlds (1951)… Quoi qu’il en soit, difficile d’imaginer que le monstre puisse représenter un quelconque danger pour qui que ce soit.

Le responsable des malheurs de Petro est George Zucco. Surnommé le Bela Lugosi du pauvre, il n’est pas pour autant un acteur dénué de talent. La star déchue se montre à la hauteur de la méchanceté de son personnage et compose un scientifique comme on les déteste : hautain, autoritaire, n’acceptant pas la contradiction, insensible à la beauté de la nature comme ce bouquet de fleurs que Petro a cueilli dans le jardin.
Aux manettes, Sam Newfield fait preuve de beaucoup de classicisme. Le réalisateur dont la carrière sera marquée par l’absence de films marquants, reste d’abord un touche-à-tout en matière de cinéma, capable d’assumer tous les postes, que ce soit celui de scénariste, producteur ou réalisateur, quels que soient les genres : western, fantastique, film de propagande antinazi… Avec Le Monstre fou, le metteur en scène livre une curiosité qui profite probablement du succès du Loup-garou, premier film consacré à la créature depuis Le Monstre de Londres réalisé en 1935 par Stuart Walker. Le Monstre fou reprend même l’idée de la balle en argent pour venir à bout de la créature, élément popularisé en 1941 par George Waggner.
Toutefois, ce lycanthrope soumis à la science n’a pas grand-chose en commun avec ces deux sommets du fantastique. Avec sa créature hybride, douce comme un agneau à l’état humain, assoiffée de sang une fois transfusée, Le Monstre fou évoque plutôt Dr. Jekyll et Mr. Hyde dont la version avec Spencer Tracy venait de sortir un an plus tôt.
Informations complémentaires :
À l’instar de Frankenstein (1931) d’une dizaine d’années son aîné, Le Monstre fou affiche une surprenante violence. En particulier avec la mort d’une fille, première victime du monstre. L’abominable aura lieu hors champ. Toutefois, le film connaîtra quelques démêlés avec la censure britannique qui lui refusera son visa de sortie.
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Le film bénéficie d'une sortie sur support physique : |
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=> En 1935, Le Monstre de Londres est le premier vrai film de loup-garou
=> Le Loup-garou de George Waggner : un film matriciel
=> The Undying Monster
Avec L'Écran Méchant Loup, je vous propose de vous plonger
dans la filmographie des films de loups-garous.
D'autres blogs où je suis actif :
ThrillerAllee pour le cinéma allemand qui vibre.
Sueurs Froides pour les films de genre et d'auteur subversifs.